14/12/2012
Délivrance, de Jussi Adler Olsen
Une chronique de Jacques.
Auteurs de thrillers : si vous cherchez à créer un suspense d’enfer qui fonctionne auprès d’un large public, vous avez un petit truc qui marche bien : l’enlèvement d’un enfant. Avec, en prime et en ligne de mire, son assassinat programmé dès le début du roman par le détraqué du bulbe (là, je ne parle pas de l’auteur, mais du psychopathe). Vous êtes assurés avec ce thème de parvenir au top du suspense, vous pourriez même concourir pour le Nobel du thriller si celui-ci existait !
Car je ne sais pas pour vous, mais pour moi l’enlèvement d’enfant est un thème de suspense qui fonctionne d’une façon infaillible. Naturellement, il faut que l’écriture suive, qu’elle soit à la hauteur de l’enjeu. Mais quand c’est le cas, alors l’attention que je porte à la lecture et la tension que je subis en tant que lecteur sont portées à leur degré maximum : je veux absolument savoir comment il ou elle va s’en sortir ( lorsqu’il s’agit d’un enfant, hormis chez quelques auteurs génétiquement contrariants, l’issue est toujours positive), ce qui me pousse à un « tourne-page » frénétique.
Alors, imaginez si dans votre thriller il n’y a pas un, mais DEUX enfants ! Non, non, n’exagérez pas : inutile d’aller jusqu’à prévoir l’enlèvement de toute une colonie de vacances, la crédibilité de votre histoire risquerait d’en pâtir. Mais deux, de préférence une fille et un garçon, c’est l’ équilibre parfait. Car vu que tous les parents-lecteurs ont au moins un de ces deux échantillons – fille ou garçon – sous le coude, (je veux dire : à la maison), l’empathie créée chez eux par le sujet sera forcément franche et massive et les placera dans une disposition d’esprit idéale pour la lecture de votre roman.
Naturellement, pour les ados, encore proches de l’enfance et de ses peurs, ce sera aussi le cas.
Il restera les lecteurs les plus âgés. S’ils n’ont pas de petits enfants, le processus d’empathie sera plus délicat à faire fonctionner, sauf pour les vieux qui ont (comme c’est mon cas) une fâcheuse et sournoise tendance à retomber en enfance ou à rester des ados (très) attardés. Mais l’auteur de thriller expérimenté doit se faire une raison et accepter comme étant une chose naturelle et vraie la phrase de l’Ogre de Charles Perrault – un ogre qui était parfois taquin : « on ne peut pas plaire à tout le monde » ! Et se dire qu’ après tout, le lectorat âgé ne constitue pas l’essentiel de la population des fans de thrillers !
Bon, comme vous êtes perspicace, vous avez deviné que l’enlèvement de deux enfants est un des thèmes choisi par Jussi Adler Olsen dans Délivrance. Comme j’avais trouvé son premier roman Miséricorde tout à fait excellent, j’attendais celui-ci avec impatience : je n’ai pas été déçu. Nous retrouvons les trois personnages d’enquêteurs si singulièrement originaux du premier roman : Carl MØrck (responsable du département V chargé des affaires classées), Hafez El Assad et Rose. Ceux qui ont lu Miséricorde le comprendront : en soi c’est déjà un plaisir. Car ces trois là sortent de l’ordinaire et sont même parfois (surtout Rose, la secrétaire intérimaire du département V ) limite déjantés.
C’est la première qualité que j’apprécie chez Jussi Adler Olsen : il parvient à maintenir un suspense d’enfer tout en conservant au roman une tonalité ironique et parfois même humoristique, ce qui est plutôt rare dans un genre ou le sérieux et la gravité sont souvent de mise. Certes, il y a des passages plus durs, dramatiques, mais l’auteur sait parfaitement ménager entre ceux-ci des pauses qui permettent au lecteur de souffler et de se détendre.
En arrière plan de l’histoire : les sectes religieuses au Danemark et l’emprise qu’elles exercent sur leurs membres, le plus souvent par l’intermédiaire d’un pater familias aussi terrifiant que brutal vis-à-vis de son épouse et de ses enfants. Il semble qu’elles soient particulièrement influentes dans ce pays majoritairement luthérien, dans lequel la laïcité n’est pas vraiment à l’ordre du jour (les pasteurs sont même payés par l’Etat !).
Deux enfants ont été enlevés et séquestrés quelques années plus tôt. L’un d’entre eux a réussi à envoyer un message, un appel à l’aide écrit avec son sang, en le plaçant dans une bouteille lancée à la mer. La bouteille ayant été récupérée, l’équipe de Carl MØrck est chargée de l’affaire dix ans plus tard, et se demande dans un premier temps s’il ne s’agit pas d’une mauvaise plaisanterie.
Pendant ce temps, nous assistons à la préparation d’un nouvel enlèvement de deux autres enfants par notre psychopathe. Celui-ci, qui a été jadis victime d’un père brutal membre d’une de ces sectes, choisit ses cibles exclusivement dans ces familles là. Vengeance ? Oui, mais pas seulement : il en profite également pour exercer un chantage sur les familles et leur soutirer de fortes sommes d’argent.
L’analyse psychologique du tueur et ses motivations sont un des points forts du livre. Marié et père d’un petit garçon, intelligent et séduisant, donnant l’apparence d’un individu aimable et socialement bien intégré, nous le suivons pas à pas dans le « travail » méticuleux qu’exige l’enlèvement des deux enfants, dans ses relations de couple, dans la vie perturbante qui a été la sienne pendant son enfance.
Autre point fort du livre : les personnages des trois flics. Ils constituent un contrepoids plaisant à une histoire angoissante, parfois même terrifiante. Deux des membres de l’équipe occupent officiellement des fonctions subalternes mais se révèlent être de redoutables enquêteurs : l’énigmatique et rondouillard immigré syrien Hafez El Assad ( avec un nom pareil, vous soupçonnez un pseudo, mais le mystère restera entier), remarquablement astucieux, dont les connaissances étonnent son vice-commissaire de chef qui se sent parfois dépassé par ses capacités ; la très curieuse Rose, au look improbable, dont le caractère violent pousse Carl à prendre des gants de velours lorsqu’il veut lui demander d’effectuer une recherche ; Carl MØrck lui-même, bourré de défauts mais que le talent de l’auteur parvient à rendre sympathique et attachant.
L’enquête menée par le département V est un modèle du genre : recherche du moindre indice, déplacements sur le terrain, rencontres avec des témoins, tout s’articule parfaitement pour que le lecteur finisse par comprendre les détails de l’histoire, ses tenants et ses aboutissants. Alors que le démarrage du roman est assez lent, l’alternance (certes classique, mais très efficace ici ), des scènes faisant intervenir le tueur, les enfants séquestrés et les enquêteurs, permet peu à peu à l’auteur de susciter et de maintenir un rythme haletant, qui va s’accélérant vers la fin du roman : je n’ai pas pu me détacher une seule seconde de la lecture des cent dernières pages !
Délivrance est un roman qui devrait plaire aussi bien aux amateurs de polars qu’aux fervents de thrillers. Il parvient à lier d’une belle façon les subtilités d’une enquête policière complexe à un suspense qui va croissant jusqu’à la fin, qui est tout simplement remarquable.
Jacques, (lectures et chroniques)
Délivrance
Jussi Adler Olsen
Traduit du danois par Caroline Berg
Editions Albin-Michel (3 janvier 2012)
670 pages ; 22 €
15:49 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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