08/06/2011
Spinoza encule Hegel, de Jean-Bernard Pouy
Une chonique d'Albertine
Pourquoi faire la critique de ce « polar 30 ans d’âge », au titre trompeur ou ambigu « Spinoza encule Hegel », lorsqu’on n’est pas un homme, pas homosexuel, pas trotskiste, pas néopolar, mais une femme sans histoire trash, qui ne se shoote pas, qui fait de la politique et de la philosophie sans hémoglobine, sans fantasme de toute puissance, ou de toute impuissance ?
En premier lieu parce que je l’ai enfin lu, après l’avoir fréquenté quelques années sans dépasser les trente premières pages.
En second lieu, parce que l’introduction donne sens à ce livre qui, il faut bien le dire, en manque, ou zigzague en divers sens : c’est un premier texte (publié), ça date de la fin des années soixante dix, sa publication résulte de rencontres amicales entre potes amoureux de polar et ressemble à une bonne farce.
En troisième lieu parce que le héros porte le nom de jeune fille de ma mère : c’est une raison qui vaut bien celles que Spinoza a de dézinguer tout ce qu’il catégorise comme bon à abattre.
Enfin, parce que j’aime Spinoza et je voulais savoir quel plaisir il allait prendre à enculer Hegel (aucun, me semble t il, si je n’ai pas sauté le paragraphe décisif dans la compréhension du livre).
Car au total, j’ai lu le polar en sautant quelques chapitres, trop répétitifs dans la tuerie généralisée, en remarquant sa construction sur deux temporalités qui n’apporte rien à l’histoire, mais fait savoir au lecteur que le héros a une histoire ; et il était très nécessaire de trouver le moyen de le faire savoir, tant Julius Puech, alias Spinoza, est tout entier dans la rapidité de l’instant présent : « je sortis mon P .38, fis tourner mon torse à 90 degrés et, bras tendus, je le visai. Je sifflai et criai : -Ho ! Niais ! Bon voyage. Et je tirai. Tout ça en cinq secondes. » : une phrase parmi d’autres qui donnent un tempo infernal à l’activité des spinozistes.
Ça parle de ça, de groupes anarchistes ou trotskystes ou staliniens qui se sont organisés en bandes rivales dont le trip est de se flinguer mutuellement, dans une France improbable et plongée dans un chaos que l’auteur ne prend pas la peine d’expliquer puisqu’il représente notre chaos, à peine plus caricatural. Simplement, on remplace les mots par des flingues, les joutes verbales par des tueries, les postillons par du sang. Et ça coule, le sang dans ce livre. Donc, avis aux amateurs de néopolar, hommes, homosexuels trotskistes ou autres : vous pouvez lire cette métaphore de la vie politique française et de la vie groupusculaire des années soixante-dix/quatre vingt, en y prenant plaisir si pour vous, l’éjaculation a pour finalité de produire à répétition des trous de balle jaillissants de sang.
Et les femmes ? Elles existent, l’auteur se permet même de devenir leur esclave et de fantasmer sur un avenir radieux avec l’une d’elle : « Puis nous partirons ensemble. Et on foutra le feu au pays, les amants diaboliques, Spinoza et Louise Labbé ; ce sera comme dans un grand film d’aventures et d’actions. La néofrance nous regardera vivre, de ses yeux glauques et jaunes, la vie qu’elle aimerait secrètement vivre. De rage, de peur, elle voudra nous abattre, mais nous serons indestructibles. »
Voilà le secret de ce roman mal équarri : vivre la vie qu’on aimerait vivre et non celle que la société nous déroule sous les pattes ; ce roman dont l’auteur nous dit dans l’introduction qu’il se « rend compte qu’il ne pouvait y avoir de meilleure introduction (…) que ce texte-là, pour tout ce qui viendrait après ».
Alors j’incite les jeunes accros au polar à ne pas s’arrêter à la sodomie de Hegel par Spinoza : jeune lecteur, si tu t’es égaré dans ce livre, continue à lire des polars de Jean Bernard Pouy : il saura ensuite garder la veine dérisoire sans forcément en faire gargouiller le contenu ; il restera en résistance en sachant se marrer ; il partagera avec d’autres auteurs le plaisir d’anti-héros marginaux comme le poulpe, devenant par là-même, « indestructible ».
Albertine, le 31 mai 2011
Spinoza encule Hegel
de Jean-Bernard Pouy
141 pages
Gallimard (19 octobre 1999)
Folio policier
5,10 €
09:37 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |