03/06/2012
Adieu Gloria, de Megan Abbott
Une chronique d'oncle Paul.
Suivant des cours de comptabilité et de secrétariat le matin, la narratrice travaille l’après-midi et en soirée dans un club de la ville. Elle suit les préceptes de ses patrons, deux frères, et tient les comptes selon leurs indications. L’enregistrement des paris par exemple, une double comptabilité qui permet de ne pas tout déclarer et procéder à des mises clandestines. Elle n’a que vingt-deux ans mais est ambitieuse. Elle apprend vite et se fait remarquer par Gloria Denton, de deux décennies son aînée. Elle est subjuguée par ses jambes, par sa prestance, ses tenues vestimentaires, sa voiture. Et si les jambes sont superbes, le physique a tendance à se relâcher quelque peu.
Gloria Denton représente les grands patrons, et elle contrôle tout ce qui est illégal. Trafics en tout genre et blanchiment d’argent. Ses zones d’action se répartissent sur les champs de courses, les clubs et cercles de jeu de toute la région. Elle propose à celle qui deviendra sa jeune protégée de participer à quelques missions en lui précisant les consignes à respecter. Et voici notre héroïne plongée dans le grand bain. Elle parcourt la contrée à bord d’une voiture en essayant de ne pas se faire remarquer par les policiers. Dans le double fond du coffre du véhicule elle transporte des objets précieux, des bijoux provenant de casses, des sachets de drogue, des billets en grand nombre. Elle se rend sur des champs de courses en misant sur des chevaux qui ne peuvent rapporter gros, toujours placés, dans le but de blanchir de l’argent. Elle est abordée près des guichets par un personnage au début de sa carrière mais elle s’en sort avec les honneurs. Il s’agissait d’un test.
Un jour Gloria lui demande de prévenir ses patrons que notre héroïne ne pourra venir pour cause de maladie. Bien lui en prend car une bombe est balancée dans l’établissement. Résultat des courses, et pourtant ce n’était pas un pari, un des frères succombe et l’autre ne demande pas son reste en s’enfuyant. La jeune protégée déménage de chez son père et s’installe aux frais de la princesse dans un luxueux appartement. Elle progresse dans l’estime de cette femme aux longues jambes qui lui confie des missions de plus en plus risquées.
Seulement la protégée de Gloria remarque dans un casino un homme au sourire éblouissant. Il gagne, mais la chance ne tarde pas à tourner. Elle s’intéresse à lui et réciproquement. Vic Riordan est un joueur impénitent, qui joue beaucoup, pariant aux courses de chevaux, fréquentant les cercles de jeux et les casinos, mais s’il lui arrive de gagner, il perd beaucoup plus souvent. De grosses sommes. Et pour les beaux yeux de Vic, la « pouliche » de Gloria va enfreindre la règle et s’arranger pour lui permettre de régler ses dettes. Une erreur qui ne passera pas inaperçue.
Le lieu dans lequel se déroule cette histoire n’est jamais précisé, sauf que la ville est reliée à Saint-Louis (Missouri) et Denver (Colorado). Quant à la date, on peut la situer dans le milieu des années 1950 grâce à quelques indices dont les marques des automobiles, les tenues vestimentaires, les bas à couture et autres petits détails, des références au chanteur Bing Crosby lequel était au faîte de sa carrière ou au Petit César, célèbre gangster de la fin des années 20 immortalisé par le roman de William Riley Burnett puis le film de Mervyn LeRoy. Mais bien évidemment Megan Abbott peut très bien jouer avec le lecteur disposant ses indices en les mélangeant quelque peu, et les empruntant à deux ou trois décennies. De même l’âge du personnage de Gloria Denton est précisé avec ambiguïté. Dès la première page du récit il est écrit : j’avais beau être de deux décennies sa cadette… ce qui avoisinerait les quarante deux ans. Cependant d’autres passages laissent supposer que Gloria frôlerait plutôt les soixante ans, par la description du relâchement physique de son visage. Ce n’est pas le plus important, Megan Abbott laissant planer volontairement des zones d’ombre.
Gloria s’institue comme la manager de sa protégée, qu’elle a délibérément choisie, elle s’érige en Pygmalion, la convertissant sans peine, lui montrant les ficelles du métier, lui prodiguant conseils et astuces, la mettant en garde car elle-même risque de subir les conséquences d’un dérapage. Elle est le Geppetto d’une marionnette qu’elle façonne à son image, une sorte de Pinocchio dont elle veut tirer les ficelles. Et comme dans l’histoire de Carlo Collodi, le mensonge sera l’un des ressorts principaux de cette histoire.
Très peu de personnages évoluent dans ce roman maîtrisé de Megan Abbott, une histoire simple, remarquablement construite et qui renvoie aux maîtres du genre, dans lequel on assiste à l’ascension d’une femme côtoyant des malfrats et parrainée par une ancienne reine des night clubs. On y retrouve la patte de l’auteur bicéphale Wade Miller, de Jonathan Latimer, et quelques autres qui écrivirent les belles pages du roman noir américain des années 40 et 50 ou plus proche de nous Marvin H. Albert, auteur de romans sérieux, carrés, parfois semblables à des biographies. Ce deuxième roman tient toutes les promesses contenues dans Absente.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Adieu Gloria.
Megan ABBOTT
Le Livre de Poche Policier 32587. (Réédition du Masque - 2011). 240 pages. 6,10€.
(Queenpin – 2007 ; traduction de Nicolas Richard).
10:11 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |