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21/09/2011

Entretien avec Jean-Bernard Pouy

Eric Furter a profité de la sortie de son dernier roman Colère du présent pour interroger Jean-Bernard Pouy.


 Eric.  Dernièrement « les Inrockuptibles » ont fait un dossier autour du  thème de la colère, un thème qui est au centre de votre dernier roman; . Pensez –vous que l’aboutissement des violences subis par nos concitoyens va s’inscrire dans une colère sociale violente et une rébellion sanglante, ou au contraire une implosion sans bruit est-elle  plus probable ?

 Jean-Bernard Pouy. Même l’implosion peut faire du bruit. Et surtout du mal. Sourde et lente, elle ferait des dégâts bien plus pervers car, au début, invisibles. Mais je crois plus à un soubresaut violent et quasi romantique, à la « française », devant lequel chacun pourrait se positionner. Ce qui s’est passé en Afrique du Nord peut fonctionner comme modèle. Il faut se souvenir qu’une grève générale a failli faire fuir de Gaulle et mobiliser l’armée…

 Eric.
Dans ce  roman,  vous épargnez l’armée mais vous décrivez le milieu politique comme une bande d’incapables et d’incompétents. Pensez-vous que le politique est la seule caste incriminable dans cette gabegie généralisée ?

Jean-Bernard Pouy.  Je n’épargne pas l’armée… J’en fais un corps assez idiot, voire grotesque. Car l’armée ne pense pas, on n’est pas au Portugal sous les œillets. C’est évidemment le politique qui décide du degré d’idiotie et d’incapacité de l’armée qui le protège. Il ne faut pas  oublier que toute cette engeance à l’arme atomique. Et se rappeler que ce roman est une pochade, en définitive.

 Eric. Ce roman revêt un caractère d’urgence; ressentez-vous une urgence et une imminence dans le « devoir de protester » ?

 Jean-Bernard Pouy.  Un peu comme tout le monde, en ce moment, indigné ou pas. Ça ne peut pas durer comme ça. Il y aura forcément un point de rupture.

A force de tirer sur la corde, elle casse. L’argent de tous en sera la cause générale. On peut taper sur la liberté, les mœurs, etc… mais on ne touche pas au pognon.

  Eric.
La réflexion que vous menez notamment par les apophtegmes mis en exergue au commencement de chaque paragraphe  tourne autour de la guerre et notamment de la guerre civile. Pensez-vous que nous en sommes proches,  ou  y a t-il une médiation démocratique possible ?

 Jean-Bernard Pouy.  La guerre civile ne sera plus celle dépeinte par Victor Hugo ou la littérature vériste. Elle est déjà là, larvaire, impitoyable, suffisamment silencieuse pour qu’on ne puisse pas trop s’y opposer. Des gens meurent en permanence, en gros « suicidés » ou éliminés par la société. Cela dit, la « démocratie » peut passer par la guerre pour tenter d’arrêter le pire, ça s’est vu. Le syndrome Valmy.
La Résistance…

  Eric. Depuis quelques romans vous réfléchissez au thème de la nudité. Ici elle désamorce une situation belliqueuse. Pensez-vous qu’elle a un pouvoir subversif ou croyez vous qu’elle peut désamorcer  « les bombes humaines » ?

Jean-Bernard Pouy.  La nudité a toujours un pouvoir subversif, celui du rappel d’un « Eden » possible, même s’il paraît aujourd’hui plus bio, alter et anti que « people of love » . Même si elle est de plus en plus récupérée par le cinéma, le théâtre, la danse, elle est l’une des armes qui servent à s’opposer drastiquement, par exemple, à la captation des âmes, comme la religion.

  Eric.  Parmi les auteurs actuels de roman,(Pierre Brasseur, Sylvie Cohen, Laurence Biberfeld, Ian Levison etc..) nous retrouvons des points de convergence autour du malaise social et un accord sur le constat.  Y-a t-il une école littéraire qui est en train de naître autour du délitement de nos sociétés ou êtes –vous plutôt un franc-tireur ?

 Jean-Bernard Pouy.  Cette « école » existe depuis longtemps, au moins depuis les années 30, c’est ce qu’on nomme le « roman noir », qui se sépare idéologiquement, structurellement, stylistiquement, du roman policier. D’ailleurs, celui-ci, depuis quelques années tente de s’accaparer les beaux habits de celui-là. Car  le « noir » est essentiellement un roman de critique sociale, ce dont le roman « policier » se démontre de plus en plus friand.

  Eric.
Avez –vous conscience d’une évolution littéraire entre vos premiers romans – « Spinoza encule Hegel »notamment–  et ce dernier roman? Si oui l’évolution littéraire se fait-elle en fonction d’une réflexion plus libertaire ou plus révoltée ?

 Jean-Bernard Pouy.  Non, c’est toujours pareil, à mon avis. Même si l’usage et l’usure font leur boulot. Je réagis essentiellement à des commandes, donc je me plie peu ou prou à un cadre, un désir, une demande, voire un espoir. Cela dit, « Colère du présent » renoue, plus sagement sans doute, stylistiquement, aux mêmes thèmes que « Spinoza », notamment une sorte de théâtre social.

   Eric. Le roman policier se porte bien aujourd’hui, les auteurs fleurissent et les ventes de roman appartenant à ce genre sont visiblement en augmentation ;que pensez-vous de la présence d’auteurs scandinaves dans le champ du roman policier. Etes-vous sensible à cette nouvelle présence, est-ce que cela modifie votre écriture ou cela vous laisse t-il indifférent ?

 Jean-Bernard Pouy.  Police partout, police nulle part ! À bas, à mort le roman policier ! Vive le roman noir.
Pour moi, le polar scandinave est comme le nuage rejeté, il y a quelques temps, par le volcan islandais. Il a recouvert l’Europe, a empêché d’autres romans de décoller, et puis il s’est dissous peu à peu. (jusqu’à la prochaine explosion)