22/06/2011
Le Mur, le Kabyle et le marin
Une chronique d'Eric
Il suffit parfois de boxer pour rejoindre la nuit, sa nuit. L’odeur camphrée, les visages mal dessinés que l’on entraperçoit parfois entre deux gants de boxe vaillamment dressés pour ne pas baisser la garde, George connaît bien ces instants là, il les recherche même pour vivre la sensation d’un corps si lourd qu’il peut subitement se dérober en un instant d’inattention ou de désir de néant. C’est lui que l’on nomme le Mur, flic le jour, sur le ring lorsque les combats se présentent, en services commandés parfois. L’essentiel est d’avoir de quoi se payer une prostituée africaine au cul rebondi qui puisse lui donner le grand frisson. Le repos du guerrier quoi, si mériter.
Pour George la guerre des corps est un choix ; ces fâcheuses missions le mettent en contact avec des personnages interlopes qui souhaiteraient arracher quelques pages au grand livre de l’Histoire : comme après certains K.O. dévastateurs une amnésie totale. Varenne nous entraîne sur les traces de cette mémoire balbutiante : du boxeur après le retour à la réalité jusqu’à l’historien- témoin d’événements si proches et si fragiles. En alternance avec le récit de la vie du policier George Crozat succède des pages sur le soldat Pascal Verini propulsé au fin fond de l’Algérie, en 1957 au D.O.P, (Détachement Opérationnel de Protection) non loin d’Orléansville : le corps à nouveau mais torturé, violé, bafoué. Pour obtenir de si précieux renseignements sur la situation des troupes armées algériennes.
« Au D.O.P, les volontaires sont nombreux ,tout le monde n’est pas obligés de participer. Quand Colonna a demandé pour la première fois à Verini de descendre un prisonnier à la cave, il a refusé. Autant par peur que pour le principe mais c’est ainsi qu’on l’a entendu. Dire non entraîne des conséquences et coûte cher :retenues sur la solde, jour de corvée au camp de la 9ème DI à Orléansville et surtout des jours de trou… » (Page 95)
Verini et ses deux amis appelés ironiquement les « coco » de la troupe sont les spectateurs impuissants et malheureux des exactions commises autour d’eux.L’amitié,le bordel du coin, l’alcool sont des réconforts éphémères et les songes ne durent pas. Bien des années après, il faudra vivre avec cette réalité là, omniprésente, poisante, de celle qui ne s’oublie pas. Antonin Varenne dresse dans ce chef-d’œuvre sans concession le portrait du père, victime de l’Histoire, d’un temps où « la guerre sans nom » effaçait jusqu’à la trace ces êtres égarés et perdus. A lire absolument.
ERIC FURTER
Le Mur, le Kabyle et le marin
Antonin Varenne
édition Viviane Hamy collection Chemins Noctures mars 2011
18 €
Présentation de l'éditeur
Un voyage âpre dans le temps : 1957-2009. Dans les mois le père s'était décidé à dire son "refus" de partir pour l'Algérie, et la sanction qui s'ensuivit : l'affectation dans un DOP, un de ces lieux destinés à la " recherche du renseignement par la torture ". Le talent d'Antonin Varenne a fait le reste. Un exercice sur le fil de l'émotion et du besoin d'exorciser. Le Mur, le Kabyle et le marin... Un combat contre l'oubli. 2009. Sur un ring, un boxeur observe sans complaisance l'adversaire qu'il va affronter, un gamin de vingt ans... Faisant fi du manichéisme, le roman bouleverse par la justesse du plus humble de ses personnages, comme par son intuition des rêves d'une génération saccagée. Fakirs, d'Antonin Varenne, paru en 2009, a obtenu le Prix Michel Lebrun, le Prix Sang d'encre.
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