07/01/2012
Le sang des prairies, de Jacques Côté
Une chronique de Richard
«Le sang des prairies» est le deuxième tome de la série «Les cahiers noirs de l’aliéniste» qui raconte la vie romancée de Georges Villeneuve, surintendant de l’asile Saint-Jean-de-Dieu et médecin légiste à la morgue de Montréal. Je vous rappelle le titre du premier tome de cette série ; «Dans le quartier des agités». Vous pourrez vous rafraîchir la mémoire en lisant ma chronique.
Ce deuxième roman est tout à fait différent du premier. Nous retrouvons le jeune Georges Villeneuve, quelques années avant son séjour à Paris. Pour payer ses études de médecine, Georges s’est enrôlé dans le 65e bataillon de Montréal. Nous retrouvons le futur médecin en pleins préparatifs. Son bataillon a reçu comme mission d’aller combattre les indiens du Nord-Ouest et les rebelles Métis regroupés autour de Louis Riel et ce, sous les ordres d’un général venu d’Angleterre.
Magnifiquement décrit, nous assisterons au voyage pénible des troupes canadiennes, aux prises avec les multiples difficultés reliées aux portages entre les lignes de chemin de fer non terminées, à la faim et à la peur; amplifiées par le dur climat d’un printemps dans les plaines manitobaines.
Chargé de l’enquête sur le massacre du Lac-à-la-Grenouille, le capitaine Georges Villeneuve, tout comme l’ensemble de ses hommes, sera tiraillé entre sa sympathie naturelle pour Louis Riel et son engagement militaire. Villeneuve et ses hommes seront constamment déchirés entre leurs racines canadiennes-françaises ( on ne parlait pas des racines québécoises à cette époque) et leur fidélité et leur attachement à leur pays.
Grâce à une construction romanesque impeccable, l’auteur nous fera découvrir les dessous inavoués de ce massacre ... qui cachait un profond ressentiment et un désir de vengeance incessant. Les révélations de François Lépine, interprète métis, éclairciront les circonstances de ce moment noir de l’histoire canadienne mais elles révéleront aussi, toute l’atmosphère, toutes les circonstances et événements qui ont déclenché cette terrible violence.
Jacques Côté réussit, dans ce deuxième volet de la vie du docteur Villeneuve, à nous faire revivre d’une façon toute particulière, ces sombres événements historiques. Sans être didactique, le lecteur ressent toute la recherche que l’auteur a dû effectuer pour recréer l’atmosphère, rebâtir, événement par événement, cette période si peu connue de notre histoire. Les faits historiques sont brillamment intégrés au récit, les personnages sont crédibles et le style efficace de l’auteur nous transporte aisément à travers ces faits historiques. J’ai peut-être ressenti un ou deux moments de longueur ... vite oubliés par la richesse et la trame du récit.
«Le sang des prairies» est un roman que l’on pourrait classer dans plusieurs genres: roman historique, roman d’enquête, roman western. Il est un peu tout ça ... mais il est surtout une très belle occasion de mieux connaitre un moment de l’histoire du Canada, soutenu par une enquête menée de façon intelligente par des personnages torturés par leurs sentiments contradictoires. Jacques Côté a réussi ce pari, grâce à sa maîtrise de l’écriture et à une structure romanesque dépeignant habilement une époque historique.
Les personnages qui entourent le docteur Villeneuve enrichissent grandement le développement de l’histoire. Par leurs différences, par leurs croyances, par leurs convictions, ils réussissent à faire le portrait de notre âme québécoise en devenir. L’opportunisme d’un Rivard, l’humour de Lupien, la droiture de Lafontaine, la volonté de Villeneuve et le côté rebelle de Lépine sont tous des éléments qui ont marqué notre génétique culturelle et politique; et nous avons tous un peu de Riel dans notre coeur de Québécois qui vivons dans un océan anglophone.
Et en parlant de Louis Riel, je dois dire qu’il est un personnage important dans ce roman, un personnage central, la pierre angulaire de cette révolte. Cependant l’auteur a dû réussir un tour de force extraordinaire pour que ce personnage si fort, qui a transcendé l’histoire des provinces des Prairies ne vienne pas «voler la vedette» à Georges Villeneuve, le véritable héros de cette série. Jacques Côté a réussi à faire cohabiter ces deux forces de la nature sans que jamais, Louis Riel ne soit présent dans l’histoire. Toute la place est laissée au futur docteur Villeneuve ... sauf à la dernière scène où enfin, ils se rencontrent dans de drôles (ou tragiques ...) de circonstances. J’avoue que j’ai adoré cette façon subtile que l’auteur a pris pour réunir ces deux combattants.
Voici donc quelques extraits qui, je l’espère, vous inciteront à lire ce deuxième tome de la vie de Georges Villeneuve grâce à la plume (soyons cohérent avec un roman à saveur de western ... ) de Jacques Côté.
«Décidément, l’ambiguïté était le talon d’Achille de la nation canadienne française, le noeud gordien de notre impuissance.»
«Je rêvassais: le rêve est le labour de l’esprit. Il prépare la moisson des désirs.»
« Mais il n’il a pas plus têtu qu’un Métis privé de ses droits. ( ) Ce qu’il y a de formidable avec nous les Métis, c’est que nous connaissons nos droits autant que notre catéchisme.»
«Mon regard embrassait l’étendue de plaine comme on contemple la mer. Mais une mer jaune. Un océan de foin. Un horizon sans fin. Un ciel bas où les nuages au loin semblaient câliner la plaine.»
Je vous recommande grandement la lecture de cette série qui saura autant vous distraire que vous informer. Lecteurs Québécois ou Européens, vous y trouverez un bon plaisir de lecture. Et surtout une bonne occasion de mieux connaître une partie sombre de l’histoire de mon pays. Une histoire qui a sculpté notre présent, à grands coups de fusils, de haches et de trahisons.
Au plaisir de la lecture.
Richard,
Polar Noir et blanc : http://lecturederichard.over-blog.com/
Le sang des prairies
Les cahiers noirs de l’aliéniste
Jacques Côté
Alire
2011
315 pages
05:01 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |