06/01/2012
Entretien avec David S. Khara
Auteur des deux romans le projet Bleiberg et le projet Shiro, David S. Khara a répondu aux questions que Cassiopée lui a posées pour un polar collectif.
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Cassiopée. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Dans votre nom, le S est en lien avec un membre de votre famille (source Wikipédia), était-il très important pour vous de le mettre ? Pourquoi ne pas prendre le nom en entier (comme pseudonyme par exemple ?)
David S. Khara. Et bien, j’ai 42 ans, je me suis lancé dans l’écriture en 2010, et j’ai depuis publié trois romans. J’ai une fâcheuse tendance à me dégarnir. J’y vois un effet collatéral de l’activité plumitive quotidienne.
Mon pseudonyme est en fait un surnom qui m’a été donné lors de la sortie de La Cité de la Peur, le film des nuls, en référence au personnage incarné par Alain Chabat. Je suis au moins aussi maladroit que le personnage qu’il incarne, d’où le surnom. C’est d’ailleurs amusant puisque je travaille aujourd’hui avec Alain Berberian qui a réalisé ce film. De plus, la sonorité « Kara » se retrouve dans pratiquement toutes les cultures et à ce titre, me convient parfaitement.
David est mon vrai prénom. Le S vient du prénom de mon grand-père. Il a joué un rôle capital dans mon existence. Je souhaitais qu’il soit présent, qu’il m’accompagne dans cette aventure.. En l’emmenant lui, j’emmenais toute ma famille. Les similitudes avec des personnages portant des initiales similaires sont donc parfaitement fortuites.
Cassiopée. Vous écrivez sous le nom de Khara, un pseudonyme parce que (je vous cite) « mon nom de famille est intimement lié au trésor des Templiers et même aux Etats-Unis, certains passionnés m’ont harcelé à cause de mon patronyme. » ; est-ce pour mieux vous protéger ou un moyen pour vous d’être un autre quand vous écrivez ? Le S. serait-il Saunière comme l’abbé du même nom ?
David S. Khara. Bien tenté pour l’abbé Saunière, mais ce n’est pas mon nom. Outre cette histoire de Templier, bien réelle, et comme vous le supposez à juste raison, je souhaitais protéger ma famille, autant d’un succès possible que des critiques dont certaines confinent à l’attaque personnelle. L’idée de la création d’un alter ego pendant l’écriture est très juste. Aujourd’hui, avec le succès rencontré par les livres, et l’exposition qui en résulte, je ne regrette pas ce choix. Je sais qui je suis, d’où je viens, et prendre la grosse tête n’est définitivement pas mon truc. Sur ce point, je pense qu’avoir 42 ans en ayant pas mal bourlingué est une meilleure protection qu’un pseudonyme.
Cassiopée. Pour votre livre, la photo de couverture n’est pas la même en 10/18 et dans l’édition originale, vous a-t-on demandé votre avis ? Pourquoi ces choix ?
David S. Khara. Le choix se justifie par le fait que chaque éditeur possède ses propres codes graphiques, il était donc logique que 10-18 se dote d’une nouvelle couverture dans la mesure où celle de Critic ne collait pas avec leur charte.
Les Editions 10/18 m’ont effectivement demandé mon avis, et j’avoue avoir été séduit par l’image car elle symbolise merveilleusement Eytan.
Cassiopée. Dans votre opus, passé et présent sont liés, mêler le passé au présent est-il une façon de nous rappeler que le passé influence le présent et qu’il suffit de peu de choses pour basculer dans une « vie » ou une autre…
David S. Khara. Il y a de cela, mais pas seulement. Certes je m’intéresse à la petite histoire au sein de la grande, mais mon propos est aussi de dénoncer l’absence d’apprentissage de l’humanité en tant qu’entité, son incapacité à tirer les erreurs du passé. Que ce soit au nom d’idéologie, par cupidité, ou par amour du pouvoir, nous avons une tendance inquiétante à recréer les conditions favorables aux conflits et à la haine de l’autre. Enstein disait en substance que la folie consistait à croire que les mêmes causes n’entraînent pas les mêmes conséquences. Je nuancerais cela en disant que l’histoire ne se répète pas à l’identique, mais bégaye. La folie prendra d’autres formes, mais elle rejaillira si nous ne cherchons pas à évoluer. Et sur ce point, nous vivons des jours que je trouve inquiétants.
Cassiopée. Ce roman est le premier tome d’une trilogie. Aviez-vous déjà l’idée de la trilogie avant d’en commencer l’écriture ? Quelles ont été les sources de votre inspiration ?
Les autres tomes pourront-ils être lus séparément ? Quels sont les individus récurrents qu’on y retrouvera, pourquoi ? Eytan semble être le personnage principal du deuxième tome, Jacky sera-t-elle celle du troisième ?
David S. Khara. La série des Projets a immédiatement été pensée comme une trilogie bien avant le succès du premier roman. Il y a un cheminement logique au fil des tomes. Dans le premier, le vrai héros met du temps à se révéler comme tel. Le Projet Shiro pousse plus loin sa découverte. Et le Projet Morgenstern se penchera sur les jeunes années d’Eytan en parallèle d’une aventure se déroulant de nos jours.
Concernant les personnages que l’on retrouvera dans les autres tomes, je ne peux vous en dire trop. Sachez juste que Jacky et Jeremy feront leur retour dans le dernier tome, et ils seront en très grande forme. Le reste est top secret, mais devrait réserver encore quelques surprises…
Cassiopée. Vous alternez les formes d’écriture et même les styles de vocabulaire, comment vous y prenez-vous pour passer d’un genre à l’autre ? Vous mettez-vous dans la « peau » du personnage ou du narrateur extérieur (et de quelle façon) pour que le passage à l’écrit soit plus facile ou est-ce que cela s’impose à vous sans effort particulier ?
David S. Khara. L’alternance des points de vue, et donc du style, sont liés directement à ma volonté de cinématographier l’action. Je déplace les points de vue comme une caméra. Ensuite, une grande partie de mon travail consiste à trouver un rythme fluide, pour une lecture qui coule sans heurts. Beaucoup confondent fluidité et facilité, alors que c’est tout le contraire.
Je n’ai aucun problème à passer d’un personnage à l’autre, à m’en imprégner et à le restituer par écrit avec le style qui correspond. Lors de l’écriture, j’ai la sensation étrange de ne plus être totalement présent. Je comparerai cela à une sorte de transe. D’ailleurs, il m’arrive de rouvrir un de mes livres quelques mois après la sortie et de me dire « j’ai écrit ça, moi ? ». Je ne sais pas s’il en est de même pour tous les auteurs, mais il y a une schizophrénie un peu inquiétante derrière. Il faudra que j’en parle à mon médecin, mais il est auteur lui aussi… (Rires).
Cassiopée. « L’humour est la politesse du désespoir »…Votre personnage, Jay, manie l’humour décalé, est-ce pour aider vos lecteurs à supporter les passages plus difficiles ?
David S. Khara. Oui, vous avez raison, mais ce n’est pas la seule raison. Dans mes sources d’inspiration, Madame Simone Lagrange a joué un rôle très important. Lors de ses témoignages, elle parle de l’humour comme exutoire dans les camps de concentration, comme d’une accroche à la vie. Du coup, je voulais restituer un peu de ce qu’elle disait à travers Jeremy, mais aussi Eytan.
Autre point important concernant l’humour, j’écris des romans d’aventure. J’y traite de sujets terribles, mais je ne veux pas le faire au premier degré absolu. Cela a été fait par des gens bien plus talentueux et compétents. J’utilise les codes du divertissement pour présenter des réalités insoutenables. Et du coup, elles passent, les réactions des lecteurs en attestent.
Enfin, nous évoluons dans un quotidien anxiogène, et je souhaite que l’on ferme mes livres avec le sourire, et pas plus angoissé encore. Divertir est, à mes yeux, une cause noble.
Cassiopée. La musique est présente plusieurs fois dans votre livre Ecrivez-vous en musique ? Auriez-vous voulu mettre une play list ?
David S. Khara. Je travaille effectivement en musique, et de façon très structurée. A chaque chapitre, chaque personnage, correspondent une sélection de morceaux piochés dans un spectre extrêmement large, allant du classique au rap. La musique me maintient dans une atmosphère spécifique.
Cela participe de mon immersion dans une bulle et facilite ma concentration.
Concernant la play list, je la mettrai bientôt sur mon site Internet.
Cassiopée. La semaine prochaine vous recevez un appel téléphonique, votre livre va être adapté en film. Vous devez établir le casting, qui choisissez-vous, pourquoi ? (Une partie de la musique est trouvée (voir question 9 ;-)
David S. Khara. J’aime bien votre question, car ce que vous décrivez est déjà arrivé, puisque le Projet Bleiberg est en cours d’adaptation cinématographique. Donc ce coup de téléphone a effectivement eu lieu. Au niveau du casting, je ne peux vous dévoiler que des désirs, mais pas vous révéler ce qui se déroule dans le développement actuel. Dans le rôle d’Eytan, j’aurai bien imaginé Alexander Skarsgard, vu dans True Blood, entre autre (avec le crâne rasé, évidemment). Pour Jeremy, j’aurai bien vu Jensen Ackles, de la série Supernatural.
Quant à la musique, j’aimerai que le film se clôture sur « Living on the Edge » d’Aerosmith, car c’est sur cet air qu’Eytan a pris définitivement forme.
Cassiopée. Il me semble que « Les vestiges de l’aube » est aussi le premier tome d’une trilogie, comment choisissez-vous la série que vous privilégiez pour l’écriture ? N’auriez-vous pas envie de mener plusieurs romans de front ?
David S. Khara. Les Vestiges de l’Aube est bien le premier tome d’une autre trilogie, très différente de la série des Projets. L’état d’esprit est donc très différent, et j’ai décidé de prendre mon temps pour l’écriture des prochains tomes, aussi parce que le propos, plus introspectif, l’exige. Au début j’avais pensé alterner d’une série à l’autre, mais à bien y réfléchir, il me parait plus raisonnable de terminer les Projets avant de me plonger dans la finalisation des Vestiges. Pour autant, je ne suis pas monomaniaque, et pendant l’écriture de Bleiberg des idées me sont venues pour les Vestiges. Elles sont soigneusement notées et ressortiront au moment voulu.
Je mène déjà de nombreux projets de front, mais à un moment donné, il faut être conscient de ses propres limites et prendre son temps. Ce qui est difficile quand on est, comme c’est mon cas, un homme pressé…
Cassiopée. Quel votre rapport au public, aimez-vous le contact avec vos lecteurs, les séances de dédicace sont-elles un réel plaisir ?
David S. Khara. Le contact avec les lecteurs est un vrai plaisir, j’y trouve la finalité de mon travail. Pouvoir échanger, récolter des impressions, et même débattre, est un enrichissement permanent, et même, une source d’inspiration. J’écris pour donner, ou essayer de donner du plaisir. C’est un postulat simplissime, et pourtant incroyablement ambitieux. Je pense en permanence aux lecteurs, tout au long de l’élaboration d’un livre. Je me pose mille questions, pour que l’ennui ne les guette pas, pour que les personnages leurs parlent. Une vraie complicité est née avec mes lecteurs, et c’est un bonheur permanent. Ma seule motivation, en fait. Sans échange, la démarche ne m’intéresse pas.
J’aime les dédicaces en petit comité car elles facilitent les discussions. Il m’est même arrivé sur plusieurs salons d’embarquer des lecteurs pour prendre un café et échanger en toute tranquillité.
Cassiopée. Quels sont vos projets actuels ?
J’ai lu que vous écriviez de « façon martiale » six heures par jour … Rassurez-moi, cela reste un plaisir ?
David S. Khara. Soyez sans crainte, je prends beaucoup de plaisir. Et heureusement, sinon j’aurais certainement du mal à en donner. Quant au côté martial, il est obligatoire pour prévenir toute déconcentration et rester focalisé sur mes personnages et mon scénario. Je travaille quasiment sans note, ni plan, à peine deux ou trois idées sur un bout de papier. Tout se construit ensuite dans mon esprit et ressort directement à travers le clavier.
En ce qui concerne mes projets, je ne vais pas sortir de nouveautés cette année, mais je vais écrire Le Projet Morgenstern et le deuxième tome des Vestiges de l’Aube. Par ailleurs, j’ai plusieurs scénarios sur le feu pour le cinéma, ainsi qu’une adaptation en cours des Vestiges de l’Aube en BD, scénarisée par Serge le Tendre. Nous avons monté un collectif d’auteurs rennais autour du roman noir, du polar et du thriller et nous allons sortir un recueil de nouvelles en 2013. Et puis, il y a aussi l’adaptation cinéma du Projet Bleiberg, sur laquelle je suis consultant auprès du scénariste, du réalisateur et des comédiens. Un agenda déjà chargé, mais je me connais, je vais bien réussir à me trouver deux ou trois autres idées en plus…
Cassiopée. Avez-vous le souhait de partager autre chose avec nous ?
David S. Khara. Je tiens surtout à vous remercier, ainsi que vos lecteurs, de m’avoir consacré un peu de votre temps.
14:09 Publié dans 07. Les plus récents entretiens avec des auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |