03/01/2012
Le Chant des Âmes, de Frédéric Rapilly
Une chronique de Christophe.
Après le techno-thriller, voici le thriller techno !
Bien que grand amateur de musique, et dans des genres plutôt éclectiques, je dois reconnaître que la musique techno et tout ce qui l'entoure, la culture techno, si l'on peut dire, ce n'est pas franchement ma tasse de thé. En revanche, en tant que lecteur, l'idée d'un thriller plongeant dans ce milieu précis, à la réputation trouble, sorte de terra incognita pleine de légendes urbaines mais aussi de coins sombres, était une idée plutôt excitante. Mais, et nous y reviendrons, reconnaissons à ce roman "le chant des âmes", signé Frédérick Rapilly (en grand format aux éditions Critic), qu'il ne se cantonne pas à la seule musique techno mais nous emmène dans une lecture très musicale pour une enquête pleine de BPM et de fureur !!
Lorsque le corps épouvantablement mutilé d'une jeune femme est découvert attaché à un arbre de la forêt de Borcéliande, les gendarmes sont sur les dents et les médias sur le pied de guerre. Voilà un fait divers bien juteux qui devrait faire de ce début d'été une période faste pour la presse à sensation !
Parmi ces titres en quête de scoops retentissants, il y a Paris-Flash (le poids des mots, le choc des photos, c'est eux... ou presque). L'hebdomadaire espère dénicher des infos qui lui feront retrouver les ventes records de la grande époque, quand l'affaire Grégory faisait la une, par exemple.
Mais, Patrick Boudou, l'un des rédacteurs en chef de Paris-Flash doit, pour réussir son coup, tenter un pari : faire revenir dans le jeu médiatique un de ses meilleurs hommes, Marc Torkan. Revenir, car, Torkan est retiré des affaires depuis 5 ans et un drame terrible. Seulement, il vit désormais retiré sur la côte bretonne et donc pas loin du tout de la forêt légendaire où le corps a été découvert crucifié à un arbre. Il va donc falloir le convaincre de sortir de sa retraite et de revêtir encore une fois ses habits de grand reporter, bouffés aux mites depuis tout ce temps.
Boudou dispose d'un autre atout sur place : Katie Jeckson. Une jeune américaine, photographe de talent, qui se trouvait en Bretagne pour un autre reportage et qui a réussi à "shooter" la scène de crime et le cadavre martyrisé de la victime. Certes, la jeune femme n'a aucune expérience dans le domaine du grand reportage, mais elle en veut et elle connaît son job.
Torkan n'est pas très chaud, au départ. Mais, pressentant aussitôt que cette affaire pourrait cacher quelque chose d'énorme, il finit pas accepter de rempiler, mais en free-lance, car ses anciens collègues, déjà sur la brèche, n'ont pas l'air ravi de le voir revenir dans le jeu. C'est donc presque clandestinement que Torkan et Jeckson commencent leur enquête.
Et, pendant que les gendarmes explorent des pistes alléchantes (un groupe sataniste, un homme qui se prétend druide), bref des pistes capables "d'exciter le peuple et les folliculaires", comme le chantait Brassens, Torkan et sa nouvelle alliée vont découvrir un élément décisif : la soeur jumelle et les amis de la victime ont menti aux enquêteurs... Ils n'ont pas passé toute la nuit en boîte de nuit mais sont allés la terminer au Teknival, une rave-party organisée en Bretagne ce week-end-là. C'est une fois sur place qu'ils ont perdu de vue leur amie, retrouvée ensuite dans un sale état...
Et si l'assassin était à chercher dans l'entourage de ce festival si décrié et propice, si l'on en croit la rumeur et les informations, aux pires turpitudes ?
Torkan et Jeckson ont l'intuition qu'ils tiennent quelque chose, mais la piste est froide, désormais, et, avant de se donner de grandes tapes dans le dos, il va falloir étayer cette théorie avec des faits. Torkan, avec son expérience des faits divers, se dit qu'une telle barbarie ne peut, hélas, être une première. D'autres meurtres identiques ont peut-être déjà été perpétrés... Et grâce à internet, c'est en Thaïlande que leur idée va trouver un écho.
Et, là encore, un festival techno se déroulait tout près au même moment...
Torkan et Jeckson en sont certains, ils sont sur la piste d'un tueur en série. Mais comment retrouver sa trace alors qu'il semble exercer "ses talents" macabres dans le monde entier ? Avec l'aide d'une charmante DJette, Jillian, alias Lady J, ils vont plonger dans ce milieu techno qu'ils connaissent si mal et qui vit en vase clos, tant par conviction que pour se protéger des bruits, rumeurs et détracteurs.
Tout en slalomant entre les exigences des gendarmes, les impatiences de leur magazine et l'hermétisme du milieu techno, le trio va devoir beaucoup voyager pour remonter la piste d'un tueur aux motivations terrifiantes...
Si je vous dis que Frédérick Rapilly est à la fois grand reporter et DJ, serez-vous surpris ? Sans doute pas, c'est tout son savoir-faire et sa culture personnelle que l'auteur met en scène dans ce roman. Un livre très musical (on trouve en fin d'ouvrage de quoi se concocter une belle petite play-list, même lorsqu'on n'est pas un fan de techno...), qui nous fait entendre aussi de la pop, du rock, du classique.
D'ailleurs, toutes les têtes de chapitres sont assurées, si je peux dire, par Nick Cave et les Bad Seeds, des textes extraits de l'album "Murder Ballads", ce qui vient accroître encore le côté sombre de ce "chant des âmes"...
Connaissant lui-même bien le milieu techno, Rapilly nous en propose un portrait certes sans concession, mais qui évite aussi les clichés qui sont souvent véhiculées sur cette musique et ces festivals, souvent organisés dans la clandestinité, voire l'illégalité... Autrement dit, on ne nie pas la présence de drogues ou d'évènements un peu glauques souvent inhérents aux grands rassemblements humains, mais on s'attache aussi à mieux faire comprendre la créativité des artistes technos (parfois hard-core, certes) ainsi que la si étrange et si contagieuse attraction que peut avoir cette musique, cette rythmique, plutôt.
Le rythme lui aussi est assez musical, avec des mouvements rapides et des mouvements lents, mais on est plus dans un roman noir que véritablement dans un thriller à l'américaine. C'est une enquête minutieuse, hors des sentiers battus, plus qu'une course-poursuite dératée, que nous propose Rapilly, avec une touche d'exotisme, même si les touristes que l'on croise ne vont guère découvrir les cultures locales...
Intéressant roman aussi sur les us et coutumes de la presse dite à sensation en France. La chasse au scoop, les rivalités, les délais de plus en plus courts car une actu en chasse une autre de plus en plus vite... A travers Torkan, on découvre le métier de grand reporter, là encore loin des clichés du baroudeur au visage buriné et tanné par le soleil. Non, c'est parfois un véritable métier de bureau, contacts, recherches, rendez-vous... Torkan est tout sauf une tête brûlée : intuition et réflexion sont aussi importantes pour lui que le passeport et la débrouillardise sur le terrain. Foncer dans la précipitation assure de se jeter dans la gueule du loup, et quand le sujet est potentiellement dangereux, c'est sa vie qu'on met en danger.
Enfin, dans nos époques où l'on prône à tous crins le "Made in France" ou l'exception culturelle française, un livre qui nous rappelle que les DJ sont les artistes qui exportent le mieux leur production, y compris sur le si difficile marché américain, ça remet bien les choses en perspectives... Il y a là un savoir-faire hexagonal qu'on s'arrache dans le monde entier, cocorico !
Premier volet d'une série qui mettra en scène Marc Torkan (et Katie Jackson ?), "le chant des âmes" est un roman noir de qualité, que je rapprocherais, même si l'évidence ne sautera pas aux yeux de ce qui ne l'ont pas encore lu, du "Parfum", de Patrick Suskind.
Mais, la véritable qualité de ce roman, c'est, je pense, qu'il saura vous intéresser même si vous n'y connaissez rien en techno, même si vous ronchonnez en disant que ce n'est pas de la musique, même si vous les considérez encore simplement comme un ramassis de drogués...
Croyez-moi, entrez dans la danse et laissez-vous hypnotiser par "le chant des âmes"...
Christophe
http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/
Le chant des âmes
Frédéric Rapilly
Critic Editions (19 mai 2011)
20 €
Présentation de l'éditeur
Le cadavre mutilé d’une jeune femme est découvert en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande, quelques jours après la traditionnelle rave-party qui se tenait dans les environs. Les autorités soupçonnent un rituel païen ou satanique, et placent en garde à vue plusieurs suspects. Alors que les médias se déchaînent, un ex-grand reporter et une photographe mènent une contre-enquête. Rapidement, leur chasse au scoop se transforme en chasse à l’homme. Il apparaît que ce meurtre n’est pas isolé ; en Thaïlande, en Ukraine, aux Canaries, et en Australie, des jeunes femmes sont retrouvées mortes en marge d’évènements similaires. Notre duo de journalistes se lance alors sur les traces d’un tueur en série obsédé par la musique qui choisit ses proies dans la fièvre des festivals électro.
13:43 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |