Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/02/2012

Entretien avec Luc Fivet

fivet_luc.jpg

 

Après les deux chroniques que nous avons publiées sur ses romans : L'excès de bonheur nuit gravement à la santé et Repentirs, Cassiopée a proposé un entretien à Luc Fivet.

 _________________________________________________________

Cassiopée.  Bonsoir Luc Fivet, et merci d’avoir accepté de participer à cet entretien. Pouvez vous vous présenter en quelques mots ? Comment êtes vous venu à l’écriture et pourquoi ?

 Luc Fivet. Je suis d’origine belge mais je me suis installé à Paris après mes études universitaires, au début des années 90. J’ai d’abord mené une carrière d’auteur-compositeur-interprète de chansons dans différents cabarets et cafés-théâtres. En parallèle, j’écrivais des romans, tous refusés, et des pièces de théâtre. Ma première pièce, « Invitations » a été montée en 1995. Après un certain nombre de boulots dans le domaine de l’écriture, notamment comme auteur de sketches pour la télévision, j’ai publié mon premier roman en 2007 : c’était « Total Chaos », chez Fayard. Puis a suivi « Requiem » en 2008, toujours chez Fayard.

En fait, j’ai commencé à écrire à l’âge de 16 ans, et je n’ai plus jamais cessé. C’était tout simplement vital pour moi, l’écriture a donné un sens à ma vie. Je suis issu d’un milieu relativement modeste, qui ne me prédisposait pas à l’activité artistique. L’écriture et la musique se sont imposées à moi avec la force de l’évidence : ma vie ne valait le coup que si je racontais des histoires pour les partager avec les autres. Cela me permettait ainsi de préciser ma vision du monde, de savoir qui j’étais réellement, et pourquoi j’étais là. Aujourd’hui encore, je ne peux pas vivre sans écrire, c’est mon oxygène.

 Cassiopée. Vous écrivez des livres « papier » mais aussi des e-thrillers, abordez-vous l’acte d’écrire de la même façon dans les deux cas ? Si oui, sur quel support et comment, quand (moments privilégiés, écriture en musique etc..), si non, pouvez-vous nous citer et nous expliquer les différences ?

 Luc Fivet. Il n’y a aucune différence : une bonne histoire restera toujours une bonne histoire, qu’on la lise sur papier ou sur écran – l’inverse étant vrai avec les mauvaises histoires… Ce qui compte, c’est que le lecteur soit emporté par sa lecture et ait envie de tourner la page, de s’immerger dans cet univers de mots. Bien sûr, l’homme lit des histoires sur parchemin et sur papier depuis plus d’un millénaire. On assimile donc logiquement la lecture à son média, à son support matériel. Il faut comprendre que l’apparition des e-books n’est qu’une transition, une nouvelle étape. Ce qui demeurera toujours, c’est la qualité de l’histoire : l’originalité des personnages auxquels on a envie ou non de s’identifier, l’habileté de construction d’un récit ( essentielle dans un polar ), la magie du style qui, elle, ne peut pas se programmer… Lisez « Le parfum » de Süsskind ou « L’ombre du vent » de Zafon : dès les premières pages, vous êtes envoûté. Cela n’est pas une question de support de lecture, mais de talent.

Donc, je ne vois aucune différence entre les deux types de récits. D’ailleurs, je ne varie pas mes procédures d’écriture : j’écris plutôt le matin, quand mon esprit est totalement réveillé, et en début d’après-midi. Entre cinq et six heures par jour en moyenne, et dans le silence. S’il y a de la musique, c’est terminé : j’y suis trop sensible pour l’ignorer.

 Cassiopée. Est-ce vous qui avez choisi d’écrire un e-thriller ou cela vous a-t-il été demandé ? Pourquoi vos e-thrillers n’existent-ils pas sur papier ?

 Luc Fivet. Pourquoi mes e-thrillers n’existent pas sur papier ? Demandez aux éditeurs ! Lorsque Fayard a quasiment cessé de publier des thrillers, j’ai fait la tournée des éditeurs. J’étais certain de tenir de bons romans, mais il y avait toujours quelque chose de trop ou de trop peu : trop de personnages ou pas assez, trop classique ou trop original, trop court ou trop long… Je les ai fait lire à des amis blogueurs, et ils ont été enthousiasmés, preuve que je ne rêvais pas. Mes livres avaient de la valeur ( ce que me confirme votre commentaire élogieux ). Alors, quand la proposition des Volubiles s’est présentée, j’ai accepté. De nombreuses personnes me demandaient quand j’allais publier un nouveau livre : c’est chose faite, et il y en a même deux d’un coup.

 Cassiopée. Pensez-vous que les « liseuses » (tablettes) sont une bonne chose pour les livres ? Pour les lecteurs ? Pourquoi ?

 Luc Fivet.  Il est évident que l’arrivée des tablettes numériques et des liseuses va bouleverser notre rapport à la littérature. Ne croyez pas que je suis un fou de technologie : je suis une nullité intégrale en informatique, et j’étais moi-même très sceptique vis-à-vis des e-books. Puis j’ai testé la lecture sur tablette : c’est tout bonnement révolutionnaire. Imaginez que cet objet peut contenir une bibliothèque entière ! En plus, vous économisez des tonnes de papier, vous pouvez acheter un livre en quelques instants où que vous soyez dans le monde, et à moindre frais. Un des grands avantages de l’e-book, c’est qu’il ne coûte pas grand-chose à la production : vous mettez le fichier en ligne via un logiciel de mise en format e-book, et le tour est joué. La toute première cliente des Volubiles habite à la Réunion : elle a acheté « L’excès de bonheur nuit gravement à la santé » le jour de sa parution. Essayez de calculer le temps et l’argent que cela aurait pris avec la filière « normale »… Ce n’est pas un hasard si l’année passée, on a vendu plus d’e-books que de livres papier aux Etats-Unis. Cela ne signifie pas que l’un va détrôner l’autre : ce sera juste une offre complémentaire, mais qui est appelée à prendre chaque jour plus d’importance.

Evidemment, il y a un autre enjeu, d’ordre éditorial : les livres qui étaient condamnés à l’anonymat pour cause de non-conformité commerciale auront la possibilité de trouver preneur et de rencontrer leur public. On constate qu’il y a une standardisation accrue au niveau des thrillers : le modèle d’écriture anglo-saxon impose ses normes, efficaces et parfois stérilisantes. Pas sûr que des auteurs comme James Ellroy, Marc Behm ou Harry Crews aient une chance d’être publiés aujourd’hui… A contrario, il y a des centaines de bons romans de langue française qui ne rencontrent pas les lecteurs parce qu’ils ne correspondent pas aux critères des éditeurs traditionnels. Cette barrière pourra être levée avec l’e-book. En tout cas, c’est ce que proposent les Volubiles au niveau du thriller. Un seul chiffre : 80% des thrillers publiés en France sont des traductions. Cela veut-il dire que les auteurs de romans noirs francophones sont condamnés au silence parce qu’ils ne rentrent pas dans l’impératif des catalogues d’éditeur ?

C’est donc aussi la question de la diversité éditoriale qui est en jeu. D’où la frilosité des éditeurs « installés » vis-à-vis de l’e-book… Pour moi, c’est clairement une chance. Cela dit, il faut toujours un filtre : on ne doit pas proposer tout et n’importe quoi aux lecteurs, il y a une question de critères de qualité qui se pose. Mais l’originalité, enfin, ne sera plus barrée par des impératifs de chiffres de vente…

 Cassiopée. Dans le roman « Repentirs », la peinture a une grande place. Est-ce un domaine que vous affectionnez ? Vermeer est longuement évoqué, avez-vous fait des recherches ?

 Luc Fivet. La peinture a toujours fait partie de ma vie. Enfant déjà, je regardais avec admiration ces gens qui arrivaient à susciter une émotion au moyen d’une toile et de quelques traits de couleur. Peut-être est-ce aussi dû au fait que je suis nul en dessin, d’où la sensation prodigieuse que me procurent les peintres ! J’ai toujours été fasciné par des artistes comme Monet, Pissarro ou Modigliani, mais aussi par des peintres plus extravagants comme Dali ou Klimt, voire ahurissants comme Pollock.

Ce qui ne veut pas dire que je rejette la peinture plus académique. A vrai dire, la peinture flamande du 17ème siècle me semble être l’exact compromis entre la rigueur de l’expression et la folie de l’impression : de ce point de vue, les autoportraits de Rembrandt sont exceptionnels de vérité et de puissance expressive. Quant à Vermeer, il est au-delà de toute tentative de rationalisation. C’est tout bonnement hallucinant ce que ce peintre a réussi à faire passer dans ses œuvres : une suspension du temps, la capture d’une bribe d’éternité. J’ai visité le Rijksmuseum d’Amsterdam pour voir certains Vermeer, et je crois que je suis resté une heure devant la Laitière. Je n’arrivais pas à m’arracher de l’attraction qu’elle provoquait en moi. On avait l’impression que Vermeer venait de terminer la toile et que la servante allait se mettre à bouger. Cette peinture était vivante, alors que sa création remontait à trois siècles et demi. Il y a un mystère chez Vermeer que personne n’est arrivé à éclaircir.

J’ai eu l’idée d’écrire « Repentirs » après avoir lu un article du Monde consacré aux œuvres d’art volées. Parmi elles, « Le concert » de Vermeer, dérobé en mars 1990 dans un musée de Boston et jamais retrouvé depuis. J’ai ressenti alors ce que je ressens toujours quand j’ai la certitude de tenir une bonne idée : comme une traînée de poudre qui s’enflamme dans mon cerveau. J’ai effectué quelques recherches sur Vermeer : à ma grande surprise, je me suis aperçu qu’on ne savait pas grand-chose de ce peintre et que le peu qu’on en savait, en revanche, était bourré de détails mystérieux et contradictoires. La vie de Vermeer, c’est une aubaine pour un romancier. Comme pour mon précédent roman « Requiem », je me suis alors livré à une quantité invraisemblable de recherches historiques : j’ai consulté des livres d’histoire comme « Vermeer et son temps » de Montias ( la bible pour les amateurs de Vermeer ), mais aussi des dizaines de livres d’art, des documentaires, et même l’excellent film « La jeune fille à la perle » de Peter Webber. Il fallait que je m’imprègne de cette époque, de ses tonalités, de son ambiance… Il a fallu aussi me documenter sur Spinoza, le grand philosophe, mais pour des raisons que je préfère ne pas dévoiler ici…

 Cassiopée.  Votre prochain livre, papier ou pas ? Pourquoi ?

 Luc Fivet. Très bonne question, à laquelle je n’ai pas de réponse. Comme je vous l’ai dit, l’e-book et le livre papier sont complémentaires. Donc, je n’exclus pas de publier un livre chez un éditeur « traditionnel ». J’ai d’ailleurs un roman en lecture quelque part… Encore faudrait-il qu’il soit accepté ! Mais j’en ai un autre, la suite de « L’excès de bonheur… », qui sera sûrement publié chez les Volubiles.

 Cassiopée. Avez-vous d’autres choses à partager avec les lecteurs ?

 Luc Fivet. Je voudrais dire en conclusion que l’essentiel, en littérature, c’est une bonne histoire, quel que soit le support sur lequel on la découvre. Il ne faut pas avoir d’a priori : essayez de lire au moins une fois sur une tablette, et tirez-en vos propres conclusions. Voyez-vous, lorsque vous lisez la première phrase de « Cent ans de solitude » de Garcia Marquez, vous vous moquez bien de savoir si vous lisez sur un livre papier ou sur une tablette numérique : vous avez juste envie de savoir ce qui va arriver à Auréliano Buendia, et le reste n’a plus aucune importance. C’est cela, la vérité de la littérature.